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Le retour

Peu à peu l’air se dégageait. Peu à peu le ciel retrouvait son azur. Comme les fresques du plafond de la chapelle Sixtine, dégagées de la suie des milliards de chandelles consumées pendant des siècles, pour révéler les couleurs éclatantes qu’avait choisies pour elles le grand Michel-Ange.

Cet azur étonnait, car beaucoup ne l’avait jamais vu et, pour bien d’autres, il n’était qu’un souvenir d’enfance. L’ordinaire, c’était le voile orangé du smog qui enveloppait tout à la manière d’un suaire. Le nez levé, les yeux grands, tous se pâmaient de ce spectacle inespéré : un azur parsemé de beaux nuages blancs et dodus où brillait un soleil jaune clair, rajeuni. Cette clarté allumait un sourire sur toutes les lèvres et jusqu’aux animaux qui semblaient se réjouir du changement : les chiens frétillaient, les chats pavanaient leur queue, les oiseaux virevoltaient sans se lasser de tourner dans cette immensité bleue. Il faisait bon respirer et on respirait à fond, sans masque.

Ce n’était pas tout. Le silence se mettait de la partie. Lui disparu depuis belle lurette était de retour, il envahissait tout et faisait un bien immense à toutes les oreilles éreintées par le bruit incessant des moteurs, ventilateurs, sonneries et alarmes qui vrombissaient perpétuellement, jour et nuit, sans jamais laisser de repos à l’âme.

Il n’avait fallu qu’un mois pour cet éclaircissement de l’œil et de l’ouïe. Le vent du Grand Changement, comme on l’appelait désormais, avait soufflé fort et vite, si fort et si vite qu’il avait obligé à une vie simplifiée, à une vie ralentie faite de tranquillité, de repos et d’humanité. Certains avaient dormi pendant plusieurs jours, enfin conscients de leur épuisement. D’autres avaient renoué avec une solitude bienfaisante qu’ils avaient totalement oubliée. D’autres encore s’étaient remis à la promenade sans but, à petits pas, pour le simple plaisir de marcher en plein air.

Et, presque d’un commun accord, la plupart avait levé les yeux de leurs écrans et vu, comme pour la toute première fois, la beauté rayonnante du monde et reconnu enfin la grâce ultime d’être encore en vie.


©2023, Le retour, Arismana

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